Quoi de plus beau de vivre dans un monde fait de choses transparentes ? L'Art, la musique, l'écriture, la littérature, le cinéma, la photographie sont là pour éclairer l'avenir, alors profitons en et vivons pleinement notre vie !

*Sauf mention contraire, les photos et les textes sont de moi, merci de respecter les droits d'auteur et de ne pas les voler.*

mercredi 26 octobre 2011

Vous.


Vous qui tournez cette page, prenez conscience que vous frotter en un point votre index contre la cellulose du papier. De ce contact naît un échauffement infime. Un échauffement toutefois bien réel. Rapporté dans l'infiniment petit, cet échauffement provoque le saut d'un électron qui quitte son atome et vient ensuite percuter une autre particule.
Mais cette particule est, en fait, "relativement" immense. Si bien que le choc avec l'électron constitue pour elle un véritable bouleversement. Avant, elle était inerte, vide, froide. A cause de votre "saut" de page, la voici en crise. Par ce geste, vous avez provoqué quelque chose dont vous ne connaîtrez jamais toutes les conséquences. Une explosion dans l'infiniment petit.
Des fragments de matière expulsés. De l'énergie diffusée.
Des micro-mondes sont peut-être nés, des gens y vivent, et ces êtres vont découvrir la métallurgie, la cuisine à la vapeur et les voyages stellaires. Ils pourront même se révéler plus intelligents que nous. Et ils n'auraient jamais existé si vous n'aviez pas eu ce livre entre les mains et si votre doigt n'avait pas provoqué un échauffement, précisément à cet endroit du papier.
Parallèlement, notre univers trouve sûrement sa place lui aussi dans un coin de page d'un livre gigantisme, une semelle de chaussure ou la mousse d'une canette de bière de quelque autre civilisation géante. Notre génération n'aura sans doute jamais les moyens de vérifier entre quel infiniment petit et quel infiniment grand nous nous trouvons. Mais ce que nous savons, c'est qu'il y a bien longtemps notre univers, ou en tout cas la particule qui contient notre univers, était vide, froide, immobile. Et puis quelqu'un ou quelque chose a provoqué la crise. On a tourné la page, on a marché sur une pierre, on a raclé la mousse d'une canette de bière. Toujours est-il qu'il y a eu un "réveil". Chez nous, on le sait, ça a été une gigantesque explosion. On l'a nommée Big Bang.
Imaginez donc ce vaste espace de silence soudain réveillé par une déflagration titanesque. Pourquoi a-t-on tourné la page, là-haut ? Pourquoi a-t-on raclé la mousse de la bière ?
Pour que tout évolue et survienne à cette seconde-ci où vous, lecteur précis, lisez ce livre précis, dans cet endroit précis où vous vous trouvez.
Et peut-être qu'à chaque fois que vous tournez une page de ce livre un nouvel univers se crée, quelque part dans l'infiniment petit.
Appréciez votre immense pouvoir.

Bernard Werber L'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu

lundi 24 octobre 2011

Fumer tue


Pourquoi fumait-il ? Peut-être était-ce pour oublier sa jeunesse, sa vie entière à vivre une vie qu'il n'aimait pas. A présent, il était gorgé de souvenirs. Lourds fardeaux auxquels il ne voulait plus songer. C'était mieux ainsi. Fumer permettait d'oublier des pensées trop lourdes à garder. Alors il les abandonnaient, oubliées dans un coin de sa tête dont il ne se servait jamais. C'était mieux ainsi. Fumer était un passe-temps pour oublier. Fumer lui permettait de mieux vivre, de s'endurcir dans un monde dont le sens lui échappait. Sa femme le regardait toujours avec une tristesse qui ne le dérangeait absolument pas. Il fumait des Gauloises et cela lui procurait sans arrêt un sentiment de bien être absolut, comme si le simple geste d'aspirer la fumée acre de la cigarette allait changer sa vie en une merveilleuse existence pleine de rêves. Sa vie, il l'avait fini, c'était trop tard maintenant pour vivre ce qu'il aurait aimé vivre. C'était trop tard, car il était vieux, si vieux. Des rides avaient poussées sur son visage d'homme, pour rester jusqu'à sa mort. Sa peau s'était enlaidi, était devenue flasque avec le temps et plus aucun signe de jeunesse émanait de lui. Ses cheveux avaient blanchis, son dos s'était courbé. Et les problèmes de santé étaient apparus. Une vie de vieil homme en somme. Quoi de plus normal ? Sa femme le contemplait, aspirait la vie de son mari comme si c'était la sienne. Elle ne fumait pas, elle. Elle lui avait répété d'arrêter, qu'à son âge, cela n'était pas raisonnable. Elle pouvait le perdre d'un instant à l'autre avec cette connerie. Lui, il ne l'écoutait pas. Égocentrique, il bougonnait absorbé par sa cigarette qu'il aspirait comme si c'était sa vie. Sa cigarette qui l'aspirait tout entier, attendant sa mort.

Sa mort vint un jour, un jour de beau temps, là où le soleil était haut dans le ciel. Là où un nouveau-né avait vu le jour. Un nouveau-né qui aurait du être le petit-fils du vieil homme. Mais cela ne se fut point.

Le vieil homme, dans sa tombe, fumait une Gauloise.

samedi 22 octobre 2011

Lolita


"Sois fidèle à ton Dick. Ne laisse aucun autre type te toucher. N'adresse pas la parole aux inconnus. J'espère que tu aimeras ton bébé. J'espère que ce sera un garçon. J'espère que ton mari d'opérette te traitera toujours bien, parce que autrement mon spectre viendra fondre sur lui, comme une fumée noire, comme un colosse dément, pour le démanteler jusqu'au moindre nerf. Et ne prends pas C.Q. en pitié. Il fallait choisir entre lui et H.H., et il était indispensable que H.H. survive au moins quelques mois de plus pour te faire vivre à jamais dans l'esprit des générations futures. Je pense aux aurochs et aux anges, au secret des pigments immuables, aux sonnets prophétiques, au refuge de l'art. Telle est la seule immortalité que toi et moi puissions partager, ma Lolita."


Vladimir Nabokov